(Attention, ce premier chapitre est aussi le plus long)
Purr toqua contre
la paroi de la petite fiole transparente. Les doigts accrochés au rebord de
l’étagère, il colla le nez contre le verre et plissa ses yeux dorés.
Mais il ne se
passait désespérément rien, dans la jolie bouteille ronde. Seulement une
épaisse fumée blanche qui ondoyait doucement. C’était à peine si une petite
paillette étincelait de temps à autre au milieu de la vapeur dense.
Purr gémit
doucement, terriblement frustré. Il observait cette bouteille depuis deux
bonnes heures sans obtenir la moindre réaction. Dans la pénombre de la
bibliothèque, elle diffusait une lumière pâle qui éclairait les autres
rayonnages de l’étagère et attirait le jeune loup-garou comme une lampe
attirait un moustique.
Si seulement il
avait le droit d’ouvrir le bouchon de liège… Il aurait sans doute pu arriver à
quelque chose.
Il se rassit en
grognant, et souffla sur sa frange pour chasser les mèches chocolatées qui lui
tombaient sur les yeux. Peut-être que sa tignasse ébouriffée avait vraiment
besoin d’un coup de ciseau. Il se carapatait à l’autre bout de la maison chaque
fois que quelqu’un abordait le sujet devant lui.
Les poils étaient
un sujet sensible, chez lui. Il avait quitté l’adolescence lupine depuis déjà
plusieurs années mais son corps pourtant musclé restait désespérément imberbe.
Même ses cheveux poussaient trop lentement. C’était bien un comble, pour un
lycanthrope.
Il se redressa
sur les genoux et chouina piteusement devant la bouteille, qui se terrait dans
son silence brumeux.
Puis une idée
malsaine lui traversa l’esprit. Il regarda à gauche, puis à droite, et se
frotta les yeux. Ce n’était pas le petit croissant de lune qui perçait à
travers les carreaux qui allait vendre la mèche.
S’il enlevait un
tout petit instant le bouchon de liège, juste une seconde, le temps d’y jeter
un œil…
Un bout de langue
rose dépassant du coin de ses lèvres, il se redressa sans faire de bruit et
s’empara du flacon.
Il était
incroyablement léger, et Purr eut peur de le laisser échapper par accident. Il
s’agenouilla et fixa longuement la bouteille, avant de se décider à tirer sur
le gros bouchon de liège.
– Qu’est ce
que tu fais encore là ?
Purr sursauta en poussant
un cri de surprise et la fiole lui échappa, tombant sur le plancher dans un
bruit mat avant de rouler sous l’étagère. Le jeune loup la regarda disparaître
dans l’ombre avec un frisson d’horreur.
Au moins, elle
n’était pas brisée.
– Où est la
bouteille ? demanda Laè en approchant de lui.
Ses pas étaient
étouffés par les épaisses chaussettes de laine qu’il portait jusqu’au dessus
des genoux. Les sourcils froncés, il avança vers l’étagère en rajustant les
manches de sa longue et chaude tunique bleue.
Purr se liquéfia
sur place. Qu’est ce que Laè faisait ici ? Il était toujours là pour le
contrarier !
– J-j’sais
pas ! se défendit-il aussitôt. J’viens d’arriver, j’la cherchais !
Laè plissa ses
yeux sombres et fixa le lycan d’un air soupçonneux. Au grand désespoir de Purr,
il connaissait trop bien sa propension à causer des catastrophes. Laè ramena
ses longs cheveux noir derrière ses épaules et croisa les bras pour le toiser.
– C’est une
bouteille, elle ne peut pas disparaître comme ça. Qu’est ce que t’as encore
fait, sac à puce ?
– Absolument
rien ! protesta le lycan avec une moue boudeuse.
Comme pour le
contredire, quelque chose sous l’étagère se mit à scintiller avec force. Purr
blêmit aussitôt, et Laè fronça les sourcils.
– Qu’est ce
que…
– C’est ta
faute ! l’accusa aussitôt Purr en le pointant d’un index accusateur.
Tu m’as fait peur et je l’ai lâchée ! J’y suis pour rien !
Laè fut partagé
entre stupeur et accablement. Cet imbécile de Purr ne ratait donc jamais une
occasion de rester tranquille ? Il s’agenouilla dans l’instant pour
tâtonner sous l’étagère, le cœur battant d’inquiétude.
– Mais quel
abruto ! On avait pas le droit d’y toucher, Mordigann a été assez clair !
Tu veux qu’il nous étripe ?
Purr croisa les
bras pour bouder, hermétique à ses réprimandes. Comme toujours, il ne voyait
pas le mal qu’il avait fait et minimisait les conséquences de ses bêtises à
répétition. Excédé, Laè ne tenta même pas de le convaincre de sa culpabilité et
préféra concentrer ses efforts sur le flacon arrondi.
Il fut soulagé
quand ses doigts se refermèrent sur le goulot, et sortit la bouteille avec
délicatesse. À son grand soulagement, elle était intacte. Laè ferma les yeux et
poussa un profond soupir.
Puis se tourna
vers Purr pour le foudroyer du regard.
– T’as de la
chance qu’elle ne soit pas cassée ! Si Mordigann l’apprend… !
Purr gonfla les
joues, vexé. Il avait l’air frustré de ne pas avoir pu satisfaire sa curiosité.
Il regarda d’ailleurs Laè avec un brin de tristesse, quand il se redressa avec
la fiole dans les mains.
Secouée par sa
chute, la brume s’agitait follement derrière les parois de verre, et des
paillettes lumineuses étincelaient dans tous les sens.
– Regarde
ça… soupira Laè. Il est tout affolé.
Il effleura du
bout des doigts le verre frais de la bouteille. Il le caressa tout en douceur,
comme un petit animal, et commença à chanter à voix basse une courte berceuse
dans sa langue natale. La brume sembla s’apaiser en entendant la douce voix de
Laè, calmée par sa chanson aux accents nordiques, qui évoquait la mer et le
froid.
Même Purr cessa
de bouder pour l’écouter.
Il aimait bien
entendre Laè chanter. Il n’aurait jamais avoué que sa voix lui plaisait, mais
il aimait bien cette langue étrange, ces paroles presque magiques qui apaisaient
sans même qu’on en comprenne le sens. Il se redressa tout doucement pour
s’approcher du Selkie. Les longs cheveux noirs de Laè étaient encore un peu humides,
comme s’il sortait du bain, et gouttaient sur son épaisse tunique bleue.
Purr le fixa d’un
œil intrigué. Ce n’était pourtant pas l’heure où il se baignait, d’ordinaire.
Il voulut s’approcher de lui, curieux, mais sentit soudain son pieds plonger
dans une petite flaque froide, glisser sur le plancher, et le monde entier se mit
à tourner.
Il perdit
l’équilibre et se vautra lamentablement sur Laè. Ce dernier, poussant un cri,
vit avec horreur la fiole lui échapper des mains, tomber avec eux, comme au
ralenti.
Ils tombèrent
brusquement l’un sur l’autre, dans un fracas de tonnerre.
Sonné, Purr se
redressa en grondant, et frotta sa courte tignasse brune pour vérifier si son
crâne était intact. Hormis son fessier douloureux, il était apparemment indemne,
excepté quelques bleus sur ses jambes qui avaient amorties la lourde chute de
Laè. Mais ce dernier avait l’air de s’en moquer complètement, pour l’instant.
Les yeux écarquillés, il observait le plancher d’un air anéanti, et Purr mit un
moment à comprendre pourquoi, avant de voir à son tour le désastre.
Il déglutit.
Les débris de
verre translucide jonchaient le sol, enveloppé par les dernières volutes de
brume. Un gros tas de poussière brillante recouvrait le plancher et les
morceaux de la bouteille brisée.
– Mordigann
va nous tuer… gémit-il faiblement.
Mordigann saisit
Elendil par les hanches et le posa brusquement sur le bord de son bureau,
chassant papiers plumes, encriers qui pouvaient les gêner. Il arracha sans
ménagement les premiers boutons de la chemise de l’elfe et tira sur le tissu
pour libérer l’une de ses épaules, blanche et veloutée, qu’il vint aussitôt
mordre de ses crocs fiévreux.
Elendil soupira
de volupté et referma ses cuisses tout autour des hanches de son patron, le
pressant contre lui sans la moindre pudeur. Il enfouit ses longs doigts
délicats dans la courte chevelure de Mordigann, griffant sa nuque, ébouriffant
les mèches brunes sous les affres du désir.
Par les deux
grandes fenêtres du bureau, un rayon de soleil inondait la pièce d’une belle
lumière dorée. La poussière dansait devant les fenêtres, les carreaux des
vitres forgées ressemblaient à des morceaux d’ambre veloutée. Elendil, que le
soleil sublimait, irradiait comme un astre dans cette jaune lumière automnale.
Mordigann se
retint de laisser un suçon sur la peau si douce du jeune elfe, se contenta de
l’écorcher du bout de ses canines. Elendil en gloussa malicieusement, avant
d’hoqueter et crisper les ongles dans son cuir chevelu, comme pour dissuader
son patron de mordre trop fort dans le téton rose qu’il était en train de
malmener.
Mordigann le
toisa par en dessous, moqueur.
– Je ne vais
pas te croquer…
– J’ai un
doute, souffla Elendil en haussant ses élégants sourcils blonds.
Il relâcha la
nuque de son patron pour empoigner à pleine main l’entrejambe de ce dernier, le
massant avec une adresse redoutable, lui arrachant même un petit grognement
frustré.
– Je crois
même que tu as très envie de me dévorer…
Elendil faufila
ses doigts agiles sous la boucle du pantalon, plongea dans la chaleur du tissu
pour libérer la hampe tendue de Mordigann. Il la cajola dès lors sans lâcher
son patron du regard, ses grands yeux verts brillants autant de malice que de
désir alors qu’il sentait la vigueur de Mordigann augmenter de seconde en
seconde. Le membre était brulant, chaud, les veines palpitaient doucement sous
la pulpe de ses doigts. Elendil se lécha les babines et du bout de son pouce,
taquina le sommet qui commençait à s’empourprer, à laisser perler quelques
gouttes humides.
Mordigann gronda
et le repoussa brusquement sur le bureau. Il ouvrit d’un coup sec le pantalon
d’Elendil, si fort que le bouton sauta à travers la pièce. Elendil éclata de
rire alors que son patron tirait sèchement sur le vêtement pour le faire
glisser le long de ses jambes, s’emparait de ses genoux pour les écarter
fermement, et se logeait aux creux de ses cuisses d’un coup de bassin
impatient.
Elendil sentit le
membre puissant se frayer de force un chemin dans la chaleur de son corps,
l’envahir, pulser en lui alors qu’il se logeait tout entier dans le fourreau de
ses chairs. Il ne se retint pas de gémir, la voix suave et fiévreuse. Il empoigna
à pleine main l’arrière train ferme de son patron, comme pour l’inciter à s’enfouir
profondément en lui.
Mordigann ne se
fit pas prier, caressant la peau si douce dans le pli derrière son genou, avant
de lui écarter un peu plus les cuisses pour commencer ses vigoureux
va-et-vient.
Suffoqué, Elendil
passa un bras autour de la nuque de son patron. L’autre vint griffer ses reins
et tenter d’agripper désespérément son dos. La voix tentatrice de l’elfe glissa
des mots évocateurs aux creux de l’oreille de Mordigann, quand il ne gémissait
pas avec délice à chacun de ses assauts. Mordigann ne tarda pas à faire branler
et grincer le bureau au rythme de ses puissants coups de rein, s’enfonçant
encore et encore dans la douce chaleur des cuisses de l’elfe.
Purr, agenouillé
sur le plancher, se rongeait les ongles jusqu’au sang et chouinant tout haut.
Cette fois c’était sûr, Mordigann allait le peler à vif, l’écarteler de ses
propres mains et laisser pourrir son cadavre démembré cloué sur la porte
d’entrée. Et quand sa chair aurait moisi et noirci autour de ses os, Mordigann
la dévorerait lui-même, avec une serviette en flanelle et des couverts en
argent, suçant jusqu’à la moelle la viande faisandée du lycan.
– Arrête de
couiner, pesta Laè en écartant quelques livres de l’étagère. Tu lui fais peur !
– Mais Mordigann
va nous tuer ! On a cassé la fiole !
Purr repartit
dans sa litanie de geignement, et Laè leva les yeux au ciel avec agacement. Il n’avait
pas besoin de connaitre les films idiots que Purr se faisait dans sa tête. Il aurait
cent fois préféré qu’il se taise pour pouvoir chercher en paix.
– Allez…
chuchota-t-il d’une voix très douce, la même qu’il prenait lorsqu’il se mettait
à chanter. Sors de ta cachette… On ne voulait pas te faire peur. On ne te fera
pas de mal…
Mais les
rayonnages de l’étagère restaient désespérément vides. Les couvertures
poussiéreuses alignées sur le bois verni constituaient autant de coin et de
recoin où une mouche aurait pu se faufiler. L’étagère couvrait tout le mur et
grimpait jusqu’au plafond, bien plus haute que Laè et Purr. C’était inutile de
tout fouiller, à moins d’envoyer bouler tous les livres pour dénuder le vieux
meuble. Mais ça n’aurait fait qu’effrayer la créature qu’il cherchait, et Laè
préférait tenter de l’amadouer avant d’en venir à de telles extrémités.
– S’il te
plait… soupira-t-il faiblement, commençant lui-même à se désespérer. Ce gros
idiot ne voulait pas te faire de mal… Il était juste curieux de te voir.
Et si la créature
avait déjà filé très loin lorsque la fiole s’était brisée ? Avait déguerpi
dans l’ombre de la pièce pendant que le lycan et lui se redressaient après leur
chute ? Laè se demandait s’il n’était pas en train de supplier dans le
vide une étagère totalement déserte. Et pourtant, cette poussière brillante,
semée sur les veinures du bois…
La lumière crue
de la lune ne valait pas celle d’une chandelle, mais elle faisait luire comme
une dune de paillette le petit tas de poussière qui jonchait le sol et les
débris de la bouteille de verre. Laè comptait là-dessus pour retrouver la trace
de la créature envolée. Ça brillait comme de la poussière de diamant, c’était
doux comme de la farine, sentait bon comme des fruits sucrés. Il en retrouvait
des petits grains sur certaines couvertures, comme la traine de cristal d’un
oiseau mystérieux.
Il était forcément là.
– On le
retrouvera jamais, sanglota Purr d’une voix chevrotante. Mordigann va nous tuer.
Laè inspira
profondément, ferma les yeux, fronça les sourcils. Il fallait qu’il garde son
calme.
– Est-ce que
tu vas te taire ? dit-t-il en se retournant soudain. C’est sûr qu’on ne le
retrouvera jamais, si tu continues à pleurer comme ça ! Et si tu lui avais
pas fait peur, en secouant son bocal dans tous les sens, il ne se serait pas
enfuit comme ça !
Purr cessa
aussitôt de pleurer pour le fixer de ses grands yeux humides. Il voulut ouvrir
la bouche pour dire quelque chose mais cela ne fit qu’augmenter la colère de
Laè, qui serra les poings sur ses hanches.
– Tu crois
que ça va changer quelque chose de pleurer comme un gros bébé ? Tu as fais
une bourde, assume là et aide moi à réparer ce que t’as fait ! Grandis un
peu !
Il en avait
par-dessus la tête de cet idiot de loup et de ses bêtises à répétition. Ils
étaient tous les deux adultes, pourtant. Quand est-ce que ce nigaud le
comprendrait enfin ?
– Mais… Laè…
plaida le lycan d’une voix balbutiante.
– Et ne me
coupe pas la parole, grosse andouille !
Il en devenait vulgaire.
Pire, il avait presque envie de le frapper. À cause de cet abruti de lycan, il
allait lui aussi se faire passer un savon par Mordigann, pour ne pas l’avoir
surveillé et laissé cet incident arriver. Il sentait la colère le submerger,
lui monter au nez, faisant battre son cœur à tout rompre dans sa poitrine.
– Tu n’es
vraiment… !
– Laè !
le coupa Purr d’une voix plus forte. Regarde… !
Il désigna du
doigt quelque chose derrière eux. Laè se figea et retourna lentement, pour
rester les bras ballants. Ses yeux s’ouvrirent en grand, tout comme sa
mâchoire, un peu comme l’avait fait Purr un instant plutôt en tentant d’attirer
son attention.
Une petite chose
lumineuse flottait devant l’étagère, semant derrière elle une trainée de poudre
de cristal. Elle avait de grandes ailes translucides, qui scintillaient d’un
reflet irisé, dans de jolies nuances de blanc, de bleu et de violet.
– Il était
encore là… chuchota Laè pour lui-même.
C’était la
première fois qu’il voyait une fée pour de vrai. Elle – ou plutôt
il – était aussi petite qu’il l’imaginait, à peine aussi grande que sa
main, toute frêle et délicate. L’aura lumineuse qui émanait de sa silhouette
empêchait qu’on la distingue, et Laè ne put se retenir de tendre la main, comme
pour la toucher.
Effrayée, la fée
recula aussitôt, fit mine de retourner se cacher derrière deux gros volumes à
la reliure abimée.
– Attend ! dit
aussitôt Laè en reculant la main. Je ne voulais pas te faire peur…
Purr s’avança
tout doucement de l’étagère, à quatre pattes, curieux comme un jeune chiot. Il
dressa le museau vers la forme lumineuse qui les observait à la dérobée, comme méfiante.
– On veut
juste faire ta connaissance… plaida-t-il avec une petite moue.
Sa bouille de
louveteau attristé sembla jouer en sa faveur. Tout doucement, à pas prudents,
la fée daigna sortir de sa cachette. Elle voleta jusqu’à eux et s’approcha
timidement du nez du loup-garou. Ce dernier se mit à rire mais ne fit pas un
seul geste. Sous le regard médusé – et un brin jaloux – de Laè, la
fée finit par s’avancer jusqu’à se percher sur son crâne, laissant dans
l’enchevêtrement de cheveux châtains une pluie de poussière lumineuse.
Laè s’autorisa
enfin à sourire, et pousser un profond soupir pour chasser le poids dans sa
poitrine.
Il se sentait infiniment
soulagé d’avoir retrouvé la créature échappée du bocal. Mordigann avait dépensé
une fortune pour l’obtenir et il n’aurait pas manqué de le leur faire payer au
centuple si par leur faute, la fée avait disparu.
Cette dernière,
comme gonflée d’assurance, se lança dans l’exploration du grand corps de Purr
et se mit à voleter autour de lui dans un bruissement d’aile délicat. Le lycan,
lui, ne s’arrêtait pas de rire et manqua d’éternuer quand la poussière qui le
recouvrait peu à peu vint lui chatouiller le nez.
– Il est
tout petit ! s’extasia-t-il en le poussant du bout des doigts alors que la fée
tentait d’escalader son épaule. Et tout fragile ! J’ai peur de l’abimer…
Laè songea qu’ils
n’en seraient pas là si cet idiot de lycan avait eu la même appréhension envers
la fiole de verre qui contenait la fée. Il s’abstint cependant de tout
commentaire, et s’approcha doucement pour ne pas effrayer la petite créature.
– Je me
demande ce que Mordigann compte faire de lui. Il est trop petit pour travailler
ici… même un carré de sucre doit peser trop lourd pour qu’il le soulève.
La fée se figea
aussitôt, comme si elle les avait entendu, et releva vers eux sa toute petite
tête. Il avait deux grands yeux sombres, sans iris ni pupilles, deux amandes
noires et étonnement grandes sur cette petite silhouette. Il semblait vexé par
les allusions des deux grandes créatures sur sa petite taille. Il s’envola
précipitamment et croisa les bras en se plantant devant eux.
Purr et Laè
échangèrent un regard, détournant un instant leur attention de la fée.
– Ca serait vraiment pervers, faire des trucs avec
lui, fit remarquer le lycan en haussant les sourcils.
Laè haussa les
épaules, la tête tournée vers son camarade.
– Il doit
avoir une autre idée derrière la tête… Il ne l’aurait pas acheté sans raison…
Il y eut un petit
bruit qui les fit sursauter, une sorte de « pouf » ouaté et
carillonnant tout à la fois. Ils tournèrent la tête en même temps vers la fée,
mais ne virent plus qu’un nuage de paillettes qui tombaient dans un bruit
cristallin.
Et, au milieu,
une fée grandeur nature qui clignait des yeux, des cils de velours battant sur
ses beaux yeux azurs.
Il avait une
chevelure incroyable, dans différents tons d’indigo, donc les ondulations
délicates et souples étaient coiffées avec simplicité mais raffinement sur le
haut de sa tête gracile. De longues mèches entortillées, dont les pointes
étaient presque roses, retombaient sur son front et autour son visage de jolie
poupée. Il avait une peau très pâle, blanche comme de la neige, que cachaient à
peine ses vêtements de soie vaporeuse.
Purr et Laè
réalisèrent que leurs mâchoires étaient grandes ouvertes. Ils mirent une
seconde à se rappeler comment faire pour les refermer.
Le lycan
rougissait déjà, étrangement en émoi. La jeune fée avait des allures androgynes
qui ne devaient pas être pour lui déplaire. Il émanait d’elle une innocence
touchante et à la fois diablement sensuelle, agenouillée à demi-nue et recouverte
de poussière brillante. C’était pourtant bien un garçon.
Elle pencha sa
tête délicate sur le côté, pour les fixer avec perplexité.
Laè fut le
premier à reprendre le fil de ses pensées. Il se secoua vigoureusement et
déglutit pour se forcer à penser à autre chose qu’à ses courbes… féeriques. Il
comprenait mieux maintenant l’investissement de Mordigann. Il ignorait que les
fées des neiges pouvaient se grandir à loisir.
– Je… je
m’appelle Laè, dit-il en s’accroupissant pour se mettre à la hauteur de la
jeune créature. Et cet espèce d’idiot qui sent le chien, c’est Purr. Tu as un
nom, toi ?
La fée cligna des
yeux et les fixa longuement, l’air ingénu. Elle semblait le comprendre, mais incapable
de répondre.
Le jeune homme était
couvert de bijoux en diamants, colliers, bracelets, ornements de mains et de
cheveux. Mais à y regarder plus près, Laè réalisa qu’il s’agissait de glace
sculptée, qui ajoutait à son corps une beauté surnaturelle. Les fées n’étaient
décidemment pas des créatures ordinaires.
Laè se sentit
soudain très gauche et empoté. Il devait être aussi attirant qu’une peau de
phoque desséchée, à côté de cette sublime et envoûtante apparition pailletée.
Il se racla la
gorge.
– Tu es à la
maison Fancy Candies. Notre patron, Mordigann, t’as racheté à un trafiquant.
Tu es en sécurité, ici. Nous sommes tous dans le même cas que toi. Je suis un
Selkie et Purr est…
Il n’eut pas le
temps de terminer. Poussé pas un instinct subit, de gratitude, d’affection ou
d’il ne savait trop quoi, la jeune fée se jeta sur lui et se pendit fermement à
son cou, blottissant le nez contre sa gorge.
Laè vira à
l’écarlate. La fée était incroyablement légère et sa chevelure sentait très
bon, un parfum frais de fleur d’hiver, légèrement sucré. Mais sa peau était
chaude, et étonnamment douce.
Purr s’agenouilla
et gonfla les joues, sans cacher sa jalousie. Lui aussi aurait sans doute bien
aimé avoir un câlin de la fée. Cette dernière frotta le bout du nez contre le
cou de Laè, émettant un tout petit bruit qui ressemblait étrangement à un ronronnement,
accroché à Laè comme un koala.
Au moins, elle ne
semblait plus avoir peur d’eux.
– Qu’est-ce
qu’on va faire de lui, maintenant ? demanda Purr en se grattant la gorge.
Tu crois qu’il voudra bien retourner dans un bocal ?
Laè déglutit, et
vint timidement tapoter le dos de la jeune fée qui refusait toujours de le
lâcher.
– J’en
doute.
Mordigann relâcha
la nuque d’Elendil, s’appuya sur le bureau pour donner d’amples coups de bassin
qui le firent gronder de plaisir. Le corps de l’elfe était un temple dédié à la
luxure, un fourreau délicieux, un écrin chaud et doux comme il n’en avait
jamais connu. C’était un délice d’enfoncer sa hampe dans le creux de ses reins.
D’aller et venir entre les muscles tendres de ses cuisses, de s’enfoncer encore
et encore dans l’anneau étroit de son intimité.
Elendil gémissait
de plaisir contre son oreille. Il ne cessait de se cambrer, encaissait ses
mouvements brutaux avec une volupté déroutante. La frange de ses longs cheveux
blonds était collée à ses tempes par des perles de sueur. Sa haute queue de
cheval tombait jusque sur le bureau où les longues mèches cendrées
s’éparpillaient comme des vagues de sable clair.
Elendil lui
mordit la lèvre avant de lui réclamer un baiser farouche. Sa langue venait
chercher la sienne avec autant d’audace que de passion. Mordigann gronda de
plaisir, les reins brûlants, le sang battant dans ses veines. Il se perdait
dans la débauche de luxure que déployait pour lui le jeune elfe.
Il aurait dû
travailler, aujourd’hui. Il avait des tas d’affaires à régler, de comptes à vérifier,
de rendez-vous à prendre… mais Elendil était arrivé et en à peine quelques
secondes, il s’était retrouvé entre ses cuisses, en train de le prendre
sauvagement à même son bureau.
Ce n’était pas un
elfe, c’était un démon. Il en était persuadé.
Un démon à la
sexualité débordante et à la sensualité à fleur de peau. Leur baiser rompu,
Elendil l’observa avec un sourire de loup, ses beaux yeux verts embrumés de
désir, le souffle court et gémissant. Il agrippa Mordigann par la nuque pour
mordre le lobe de son oreille et lui murmurer des paroles qui frôlaient
l’indécence. Un instant, Mordigann fut tenté de le faire taire en l’embrassant
de nouveau, mais il préféra pilonner son corps largement offert pour
transformer ces mots tendancieux en gémissements torrides.
-Oooh oui… !
feula Elendil en plantant les ongles dans la chair de sa nuque.
C’était mieux
comme ça.
Son bureau
supportait tant bien que mal leur fougue conjuguée, de même que les hanches d’Elendil
dont l’endurance érotique n’était plus à prouver. Son membre s’élevait pourtant
entre eux deux, cruellement délaissé, humide de désir et trahissant l’état
d’abandon dans lequel se trouvait son elfe débauché.
Mordigann referma sa large main autour de lui et
entama un étroit va et vient. Son rythme faisait écho à celui de ses coups reins
et ne tarda pas à faire basculer en arrière la jolie tête blonde d’Elendil.
Ce dernier
échappa sa prise sur le dos de son patron et manqua de tomber en arrière. Il se
raccrocha de toutes ses forces au rebord du bureau qui était autant secoué
qu’eux par cette étreinte sauvage.
Son pauvre vieux
bureau, qu’Elendil avait si souvent malmené, recouvert de son corps plus ou
moins vêtu, griffé de ses ongles blancs, caressé de son souffle rauque. Quand
il ne l’avait pas abrité sous lui de longues heures, et offert quelques bosses
au crâne délicat de l’elfe quand ce dernier se redressait trop vite.
Le vieux meuble
avait tellement assisté à leur dépravation que s’il avait pu parler, son témoignage
aurait pu faire rougir une succube. Mais Elendil lui épargna dans un sursaut de
clémence de se retrouver une nouvelle fois souillé par leur ébats. Il se libéra
plutôt entre les doigts serrés de Mordigann.
La tête en
arrière, le corps tendu, il échappa un pur gémissement d’extase alors qu’un
spasme de plaisir le traversait. Mordigann gronda, le sentant se resserrer
autour de lui, sensation si étroite et brûlante qu’il pensa jouir à son tour.
Mais il en fallait plus pour que le brasier dans son bas ventre le consume. Il
continua de bouger dans cet antre chaud et accueillant, entre les cuisses nues
d’Elendil qui le serraient plus fort encore, sous le regard bleu-vert que
l’orgasme avait rendu plus envoûtant que jamais.
Mordigann
s’enfonça profondément aux creux de ses reins. Quand le plaisir le saisit à son
tour, il s’empara de la nuque de l’elfe pour étouffer un grondement suave
contre les lèvres roses, l’inondant de sa semence après de deniers et vigoureux
coups de hanche.
Son souffle
erratique se mêla à celui d’Elendil, qui lui souriait avec malice et
satisfaction, éreinté par cette fougueuse chevauchée.
– Mordigann…
lui murmura Elendil.
Sa voix était irrésistible,
chaude comme un rayon de soleil et sucrée comme du miel.
Mordigann se
contenta de l’embrasser encore, s’enivrant de la saveur de ses lèvres comme il
venait de s’enivrer de son corps. Elendil le lui rendit avec le double de
passion et il le sentir enfouir de nouveau ses longs doigts dans ses cheveux,
l’étreignant une dernière fois avant qu’ils ne se séparent.
Puis, avec un
sourire rayonnant comme le soleil, il tendit la paume vers lui.
– Mon argent ?
Mordigann,
suffoqué, sentit sa mâchoire se décrocher. Il toisa d’un air abasourdi le jeune
elfe auréolé d’innocence. Il n’avait même pas encore quitté le fourreau de ses
reins, encore brûlant et humide de leur passion.
– Je suis
ton patron ! s’étrangla-t-il.
– Ça ne te
dispense pas de payer, rétorqua Elendil avec candeur. C’est toi qui m’as coincé
sur le bureau…
Mordigann fronça
les sourcils et planta ses yeux noirs dans les prunelles angéliques. La sale
petite vipère. Il aurait dû se méfier, en le voyant entrer en roulant des
hanches sous ses yeux.
– Et c’est
toi qui a tout fait pour que je t’y coince, maugréa-t-il.
Il plongea
toutefois la main dans une poche pour en extirper son portefeuille.
Elendil, radieux,
fit mine d’onduler son bassin pour faire bouger encore une fois la hampe logée
entre ses cuisses. Mais cela n’amoindrit pas la soudaine mauvaise humeur de
Mordigann.
Même si quelque
part, l’audace du jeune elfe l’amusait. De même que ses stratagèmes toujours plus
vicieux pour extorquer de l’argent à tout son entourage. L’absence totale de
scrupule d’Elendil était tout à fait distrayante, quand elle concernait
quelqu’un d’autre, ou ne lui tombait pas dessus alors qu’ils venaient à peine
de s’envoyer en l’air.
– Tu me
devras quelque chose d’autre, pesta-t-il en lui tendant un billet. Quelque
chose de gratuit, et sans entourloupe.
Elendil s’empara
promptement de la monnaie et la fit disparaître avec une adresse qui trahissait
l’habitude. Puis il ronronna comme un gros chat satisfait. Comme ragaillardi
par la couleur de l’argent, il referma l’étreinte de ses bras et de ses cuisses
autour de son patron contrarié, peut-être pour adoucir son humeur bourrue. Mordigann
finit par se laisser consoler à force de promesses de caresses torrides et de
rencontres nocturnes sous ses draps. Il put dès lors savourer avec plus de
plaisir la chaleur du corps de l’elfe contre le sien.
Ce n’était pas
tellement la manœuvre qui l’avait contrarié, ni d’avoir eu à payer. Il se
fichait bien de ce genre de détail. Non, il était juste vexé d’être tombé dans
le panneau.
Encore une fois.
– Un jour,
souffla-t-il chaudement dans le creux de l’oreille pointue d’Elendil, je vais
te ligoter, te bâillonner, te baiser jusqu’à ce que tu n’en puisses plus, et
puis te dévorer vivant.
Elendil éclata de
rire et se pendit à son cou, approchant ses lèvres des siennes pour les
mordiller avec malice.
– Tu n’aimes
que la chair fraîche… et la mienne ne l’est plus depuis longtemps.
– Pas faux,
maugréa Mordigann avant de l’embrasser férocement.
Il aurait
volontiers allongé Elendil sur son bureau, pour lui écarter un peu plus les cuisses
et le posséder de nouveau. Mais un bruit soudain dans le couloir leur fit tous
deux dresser la tête. Par prudence et presque à contrecœur, Mordigann se
résolut à reporter à plus tard cette alléchante perspective, et se retira du
corps de l’elfe. Ils se rhabillaient tous deux quand on frappa à la porte.
Mordigann fronça
les sourcils, tentant de remettre un peu d’ordre dans les papiers qu’il avait
lui-même envoyé voler.
– Tu
attendais quelqu’un ? demanda Elendil en raccrochant une boucle d’oreille.
Elle était sûrement
tombée dans le feu de l’action.
Assis sur le coin
du bureau, sa longue chevelure en bataille et les vêtements à moitié défaits,
l’elfe agissait pourtant avec un naturel déconcertant, parfaitement digne et maître
de lui dans sa tenue débraillée.
– Non, répondit
Mordigann en se laissant retomber sur sa chaise. Entrez !
Lentement, très
lentement, la poignée se tourna, et la tête ébouriffée d’un Purr aux joues
écarlates passa par l’embrasure.
– Patron… ?
commença-t-il d’une voix timide.
Il se mordait la
lèvre de sa canine pointue, mimique bien connue de tous les pensionnaires, qui
ne pouvait signifier que deux choses : soit qu’il avait fait une bêtise,
soit qu’il avait commis une monstrueuse, gigantesque, titanesque bourde.
Mordigann se
sentit soudain un brin inquiet, échangeant un regard surpris avec Elendil.
– Il y a un
problème, Purr ? demanda-t-il en se redressant dans son fauteuil.
– Euh… eh
bien…
Le lycan
balbutia, hésita, se gratta la tête, et finit par pousser un peu plus la porte pour
ne pas mettre trop longtemps au supplice la patience de son patron.
Sur le seuil se
tenait un Laè légèrement embarrassé, qui se dandinait d’un pied sur l’autre. Un
étrange jeune garçon aux cheveux violet était fermement agrippé à son cou, et
fixa la petite assemblée de ses grands yeux azur, plein de curiosité.