Tous les
pensionnaires de la maison Fancy Candies étaient réunis dans le grand salon.
C’était une
grande pièce lambrissée, aux murs tapissé de rouge velouté, meublée avec goût
pour que chacun puisse y trouver sa place. De grands sofas moelleux entouraient
une petite table basse toujours chargée de sucreries et de boissons chaudes. Il
y avait de nombreux fauteuils matelassés, des perchoirs, des tabourets, et même
un énorme bocal rond qui permettait aux créatures marines de la maison de
s’accrocher au rebord pour discuter avec les autres.
Mais c’était sur
une chaise que l’attention de la maison était tournée. Une simple chaise de
bois, posée en plein milieu de la pièce, sur laquelle s’était perchée une fée
un brin intimidé. Les mains sur les genoux, les paupières grandes ouvertes,
elle clignait des yeux avec perplexité devant cette dizaine de têtes inconnues
qui la fixaient intensément. Les pensionnaires, agglutinés devant la porte
d’entrée, le regardaient comme des enfants devant la vitrine d’un confiseur.
Il n’y avait
guère que les prunelles fauves de Purr, et les grands yeux bleus cobalt de Laè,
qui devaient lui être familiers au milieu de toutes ces billes écarquillées. La
petite fée se tortilla sur la chaise, et rentra un peu la tête dans les
épaules.
– Sugarplum,
tenta enfin quelqu’un sans le lâcher du regard.
Une tête se
tourna un instant, avant de s’agiter de droite à gauche, et se reposer sur la
fée.
– Non…
Beaucoup trop classique. Il faut un nom plus original… Titania ?
– C’est un
nom de fille, et ce n’est pas original ! contredit un troisième en se
frottant le menton. Il faudrait quelque chose qui lui corresponde… qui
représente une de ses qualités…
– Clochette,
alors !
– Oh, Purr,
tais toi…
– Non, c’est
pas mal comme idée. Carillon ? Ou bien trompette !
– N’importe
quoi… soupira Elendil en levant au ciel ses beaux yeux verts.
– Il ne fait
pas tout le temps un bruit de
clochette ! Il brille… il a les cheveux violets…
– Violette ?
– Mais
arrête avec tes prénoms de fille !
– Paillette ?
– Indigo,
peut-être ? proposa le centaure Bernabé en plaquant sa main sur la bouche
de Purr. Ou bien un nom de fleur…
– Prune, ça
aurait pu lui aller. Mais ça ne lui ressemble pas assez…
– Quelqu’un
s’y connaît en botanique ?
– Elendil,
t’es un elfe !
– Ca n’a
rien à voir.
– Pourquoi
un nom en langue magique ? On pourrait chercher dans une autre langue,
remarqua Laè en fronçant les sourcils.
– Il
faudrait quand même que tout le monde puisse le prononcer…
– Il faut
juste éviter les langues bizarres, alors.
– Et pourquoi
pas… un nom de fleur violette dans une langue étrangère ?
– C’est un
prénom qu’il lui faut, pas une classification scientifique.
– Alors
Lilas, ou Améthyste ?
– Non, ça
fait toujours très fille, ça.
– Mfff mfff !
approuva Purr, bien que toujours bâillonné par le centaure.
– En même
temps, il n’a pas l’air très viril…
– C’est une
fée, il peut pas être membré comme un centaure !
– Ah non,
ça… gloussa quelqu’un d’autre.
– Je vous
prierai de laisser ma virilité en dehors de ça, plaida aimablement Bernabé. Ne
nous écartons pas du sujet. Ce pauvre petit n’a pas de nom…
– Vous en
êtes sûr ? Les fées ont une langue à elles, non ? On devrait trouver
quelqu’un qui la parle, peut-être ?
– Pas les
fées des neiges… elles ne se donnent pas de noms, elles vivent seules dans les
fleurs gelées.
– Snow,
alors !
– Non,
Sucre-glace !
– Ou
Edelweiss… C’est joli un Edelweiss…
– On a dit
prononçable, soupira quelqu’un avec une pointe d’agacement.
– Edel tout
court ?
– Ca ne veut
plus rien dire. Ca ne fait pas rêver.
– Il faut
quelque chose de plus… de plus…
Mordigann se
glissa derrière l’attroupement de ses pensionnaires. Ils continuaient de se
chamailler, serrés les uns contre les autres pour pouvoir tous dévisager la
pauvre fée embarrassée.
Mordigann
soupira, mais son souffle fut inaudible au milieu des interventions de chacun.
Il s’adossa contre le chambranle de la porte et alluma une cigarette, avant de
se frotter les tempes avec un brin de lassitude dans les gestes.
– C’est une
fée des neiges… les coupa-t-il soudain, de sa voix grave et tranquille.
Une dizaine de
paires d’yeux se tourna aussitôt vers lui, incrédule, interloquée, curieuse,
attentive. Plus les deux grandes billes bleues de la fée, qui le fixaient avec
gratitude pour avoir détourné de lui l’attention des pensionnaires déchaînés.
Mordigann se redessa
un instant, déstabilisé par cette attention subite et l’air perplexe de
l’ensemble du groupe, qui semblait attendre de sa part une sorte de révélation.
Mal à l’aise, il rajusta négligemment son veston, tirant une longue bouffée de
sa cigarette.
– Appelez-le
Flocon, proposa-t-il comme s’il s’agissait d’une évidence.
La dizaine de
paire d’yeux fixa longuement le patron des lieux, se concerta une seconde, se
retourna simultanément vers la fée.
– FLOCON !
s’exclamèrent tous ensemble les pensionnaires.
L’intéressé cligna
des yeux plusieurs fois, l’air abasourdi. Puis il se pointa de l’index en
haussant deux sourcils intrigués.
Moi ? semblait dire sa bouche arrondie.
– Ça ne te
plait pas ? s’apitoya Purr, les oreilles basses.
La fée eut l’air
de réfléchir un instant. Elle scruta timidement la vingtaine de billes colorées
qui le fixaient toujours, guettant sa réponse, et Mordigann, dans le fond, qui
fumait sa cigarette d’un air profondément blasé.
Flocon…
Il se mit à
sourire, et hocha vigoureusement la tête.
Flocon.
Il était à peine
baptisé que Mordigann tirait une chaise devant son bureau pour l’inviter à
prendre place.
La fée s’y assit
avec prudence, jetant tout autour d’elle des regards intrigués. Le bureau du
patron était grand et clair, avec deux grandes fenêtres en fer forgé, qui
donnaient sur un beau jardin d’automne. Une lumière dorée passait à travers les
carreaux, faisant briller le plancher ciré comme du miel. Il y avait de grandes
étagères pleines de livres anciens, des objets rares, hétéroclites, une grande
mappemonde qui représentait les continents humains, une autre tout en cristal
qui figurait les cartes du monde magique. Et le grand bureau de Mordigann,
splendide, massif, tout en bois sculpté, recouvert de papiers à la belle
écriture manuscrite, d’encriers précieux, de stylos d’orfèvres et de plumes
immaculées.
Flocon trouvait
que tout cela manquait cruellement de sucre.
Mais Mordigann,
contrairement aux autres pensionnaires, semblait sensible aux besoins de la jeune
fée, et un délicieux cupcake au glaçage bleu lagon apparut dans son champ de
vision. Les yeux plein d’étoiles, Flocon s’en empara et en croqua une large
bouchée, tandis que Mordigann allait prendre place de l’autre côté du bureau.
– Je suppose
que les autres t’ont déjà dit où est-ce que tu te trouvais… ?
La jeune fée
hocha la tête, le museau plein de glaçage, qu’elle effaça d’un coup de langue.
La pièce sentait bon la cire d’abeille, mais avait aussi une vague odeur de
tabac froid. Un mégot écrasé gisait dans un cendrier de cristal.
– La maison
Fancy Candies m’appartient. C’est en son nom que je t’ai racheté au marché noir.
Théoriquement, tu es donc ma possession, tant que tu ne m’auras pas remboursé
le prix que tu m’as coûté.
Flocon continua
de grignoter son gâteau avec grand appétit, les yeux rivés sur Mordigann, sans
émettre la moindre réaction.
– Quand tu
m’auras remboursé, tu seras libre de rentrer chez toi. Ou bien de rester ici si
tu t’y sens bien et que tu as peur d’être de nouveau capturé. Je garderai un
peu de l’argent que tu gagneras pour payer tes frais, une autre partie pour
rembourser ta dette tant que tu en auras une. Le troisième tiers te reviendra,
et tu pourras le dépenser comme tu le souhaites, ou me le donner pour
rembourser plus vite.
Flocon hocha
docilement la tête, suçotant ses doigts un à un.
Mordigann sourit,
apparemment satisfait par cette réaction plus que positive, et joua avec l’un
de ses stylos à plume, noir et or.
– Est-ce que
les autres t’ont parlé du travail ?
Cette fois-ci, la
fée fit mine de réfléchir, un index sur le menton. Puis elle hocha de nouveau
la tête, volontaire.
– Tant
mieux. C’est bien qu’ils aient pensé à te prévenir avant que tu viennes me
voir.
Mordigann fouilla
dans l’un des tiroirs du bureau, en sorti un petit feuillet qu’il déposa devant
lui.
– Il faut
que tu saches que tu n’es pas obligé de faire la même chose qu’eux. Il y a des
tas de manières différentes de travailler ici. À toi de voir ce que tu
préfères. Mais… je ne te cache pas que si je t’ai acheté, c’est parce que
j’avais des projets pour toi. Il manquait quelqu’un comme toi, dans mes
pensionnaires.
Il poussa le
contrat vers Flocon. Le papier parchemin était recouvert d’une très belle
écriture souple et ronde, tout à l’encre noire. Le jeune garçon la parcourut
rapidement du regard, puis s’en désintéressa très vite, lorgnant plutôt sur le
petit coffret rempli de bonbons qui traînait sur un coin du bureau. L’œil amusé,
Mordigann le poussa vers lui, et Flocon ne se fit pas prier pour en chiper un.
Il défit l’emballage coloré d’un geste expert et goba promptement la sucrerie. Elle
avait un bon goût fruité, et collait aux dents avant de fondre sur le palais.
– Est-ce que
tu es d’accord pour nous rejoindre… ? lui demanda Mordigann en lui tendant
son stylo.
Flocon fée pencha
la tête sur le côté, fixant longuement le capuchon doré. Puis il avala son
bonbon, en prit un autre, et se saisit du stylo tout en gobant la douceur.
Il ne savait pas
écrire son nom, mais connaissait en revanche la façon de sceller les contrats
magiques. Alors, tout en bas du parchemin qu’il ne prit même pas la peine de
lire, il dessina avec application un petit flocon de neige. Puis il souffla sur
son propre index, un souffle glacé, brillant, bleuté, et apposa la pulpe de son
doigt à côté de son gribouillage. L’empreinte de son doigt resta marquée sur le
vieux papier dans une profusion de paillettes.
Mordigann
récupéra les papiers d’un air satisfait. Il pensait peut-être que cela
prendrait plus longtemps, et n’était pas fâché que Flocon ait accepté si vite.
Le contrat signé disparut dans une petite déflagration de fumée noire, et Mordigann
tendit à la place une jolie clef dorée à son nouveau pensionnaire.
– Viens avec
moi. Je vais te montrer ta chambre.
Flocon le regarda
se lever et contourner le bureau pour lui en ouvrir la porte. Il fit apparaître
ses ailes dans un doux chuintement, et les dégourdit une petite seconde avant
de s’envoler, flottant derrière Mordigann en laissant derrière lui une traînée
brillante.
Il avait déjà eu
l’occasion d’explorer son nouveau domaine. Le grand couloir de la Fancy Candies
était la colonne vertébrale de la maison. Tout en longueur, avec un beau
plancher ciré et les murs couverts de tapisserie damassée, il se terminait sur
la grande porte à poignée dorée du salon. À l’autre bout du couloir, tout à
l’opposé, la porte qui menait à l’entrée était bien plus simple et rustique,
mais elle ne servait presque jamais.
Une vingtaine
d’autres portes se succédaient le long des murs, de part et d’autre du couloir.
Les chambres des pensionnaires, dont Mordigann lui apprit qu’il exigeait
qu’elles restent toujours soigneusement fermées pour ne pas faire désordre.
La chambre de
Flocon était juste à côté de celle de Laè, et en face de l’antre de Purr.
C’était les deux premiers pensionnaires qu’il avait rencontré, les deux avec
lesquels il se sentait en confiance. Il pirouetta de plaisir sous l’œil amusé
de Mordigann.
– Tu peux
faire ce que tu veux de ta chambre, la décorer comme tu en as envie. Si tu as
besoin de meuble, demande, et on t’en trouvera.
Flocon atterrit
doucement sur le sol et sortit la clef dorée, ne résistant pas à l’envie de
tourner la serrure. Il replia ses ailes et céda à la curiosité, ouvrant la
porte pour jeter un œil à l’intérieur.
Mordigann,
derrière lui, sortit son paquet de cigarette avant de jeter un petit coup d’œil
par-dessus son épaule.
– Mais si je
peux me permettre… j’aurai bien une petite idée pour commencer.
Le jeune prince
Adrian confia sa cape à une ombre fantomatique. Il regarda la silhouette
vaporeuse, vêtue d’une tenue de bonne, s’éloigner dans le hall avec le précieux
morceau d’étoffe. Un majordome spectral surgit à sa place, et remis au jeune
prince une petite clef dorée avec une révérence.
Adrian observa
longuement le petit bout de métal brillant. Il ne pouvait plus reculer,
maintenant… il redressa la tête, une boule dans la gorge, mais le majordome
s’était déjà évaporé.
Les grandes
portes blanches s’ouvrirent pour lui, et il referma la main sur la poignée de
son sabre pour les franchir dans une raideur toute militaire.
Les deux grands
battants se refermèrent tout seul une fois qu’il les eut passés, et il ne put
s’empêcher de frémir.
Le sol au
carrelage noir et blanc était si propre et lisse qu’il réfléchissait tout,
comme un miroir poli. La salle était haute et vaste, comme une immense salle de
bal. Un double escalier monumental s’y déployait dans toute sa splendeur,
agrémenté de balustrades dorées, recouvert d’un tapis écarlate qui se déroulait
jusqu’en haut des marches et devant chacune des portes qui occupaient la vaste
salle.
Une splendide
porte de bois brun était abritée entre les deux escaliers, solidement
verrouillée. Le grand salon… on avait dit à Adrian qu’il pouvait aller y faire
un tour s’il n’était pas certain de son choix. Il fut tenté de le faire, un
petit instant, juste par curiosité. Mais il se ressaisit de justesse.
Une fée… Il
venait voir une fée.
Un petit numéro
était gravé sur sa clef. Il chercha du regard la porte qui correspondait. Ne la
voyant pas autour de lui, il gravit d’un pas hésitant l’un des larges escaliers
pour examiner les portes à l’étage. Le bureau du propriétaire était tout au
sommet, gardé par une porte aussi splendide que celle qui fermait le salon.
Adrian passa devant non sans un petit frémissement. On disait des tas de chose
sur cet homme mystérieux…
Son cœur se mit à
battre plus fort dans sa poitrine alors qu’il s’approchait de la bonne porte. Elle
était identique aux autres, sans fioritures. Mais il savait bien que dans le
monde magique, les apparences étaient trompeuses. On ne savait jamais sur
quelle pièce on allait tomber en tournant une poignée.
Adrian tira par
réflexe sur le col de son uniforme d’apparat. Ses bottes résonnaient lourdement
sur le sol carrelé, et il ne se sentait pas à sa place, trop humain dans ce monde d’illusions. Ce fut
avec une boule d’appréhension dans la gorge qu’il poussa la porte de la
chambre.
Un bon feu de
cheminée brûlait dans la petite chaumière, réchauffant l’intérieur coquet et
les murs de pierre. Derrière les adorables fenêtres, la neige tombait
doucement, à gros flocons, sur une jolie forêt de conte de fée.
La chambre
ressemblait à celle d’une maison de poupée. Douillette, un lit en fer forgé
occupait la majorité de la place, garni de coussins dodus et d’un gros édredon.
Les napperons et les rideaux étaient cousus dans la dentelle la plus délicate,
de grands plateaux recouverts de sucreries traînaient sur la table de chevet et
la petite table basse devant la cheminée.
Mais de tout ça,
le prince n’en avait cure. Il n’avait d’yeux que pour la créature enchanteresse
agenouillée sur le lit, pour les longues jambes pâles que cachaient à peine un
très long pagne de soie blanche, pour les grands yeux bleus sous les cils de
velours.
Une ceinture
faite de cristal et de saphirs entourait sa taille frêle, de longs bas de soie
violette remontaient jusqu’à ses cuisses, soulignant ses courbes presque
féminines. Mais c’était bien sur un torse de jeune homme, que retombaient les
longues mèches indigo qui s’échappaient de sa coiffure. Il n'avait pas l'air
d'avoir plus de vingt ans.
Adrian déglutit
avec difficulté et referma la porte derrière lui. Il faisait dans la pièce une
chaleur agréable, surtout quand on voyait la neige qui s’accumulait sur le
rebord des fenêtres.
Les grandes ailes
de la jeune fée battaient doucement dans son dos, tandis qu’elle dévisageait
attentivement le prince et son beau costume blanc, les brandebourgs dorés,
l’écharpe princière qui ceignait son torse. Jeune et bien fait, avec ses
cheveux blonds sagement coiffés, Adrian savait qu’il avait tout du prince
charmant. C’était d’ailleurs exactement ce que l’on attendait de lui. Mais s’il
voulait se trouver une épouse de bonne naissance, partir sauver des jeunes
filles, réaliser des prouesses, il fallait bien qu’il se frotte avant cela au
monde de la magie et à ses mystères.
Le royaume avait
choisi pour lui une noble quête, une jolie – et riche – princesse
emprisonnée dans un château de glace par une méchante fée. C’était tout
naturellement que l’on s’était adressé à la Fancy Candies, pour fournir à
Adrian matière à s’exercer. La maison était réputée pour abriter toutes sortes
de créatures, toutes plus enchanteresses les unes que les autres, venues des
huit coins des mondes humains et magiques. Que des mâles, telle était la
particularité de la maison, et ce qui faisait sa renommée. Les spécimens
féminins courraient parfois les rues et chacun se targuait d’en posséder, comme
employées ou bien comme esclaves, achetées illégalement au marché noir. Mais
des mâles…
Adrian n’avait
que très rarement vues des fées, toutes captives, apportées par des vassaux de
son royaume ou bien des saltimbanques engagés pour divertir un bal. C’était la
première fois qu’il voyait… une fée masculine.
Il se racla la
gorge, embarrassé. Comment les choses étaient-elles censées se dérouler ?
Dans le monde réel, c’était très simple. Mais ici… ?
– Je… je
suis le prince Adrian, se présenta-t-il d’une voix de plus en plus assurée,
tentant de redresser son maintien. Tu es bien… le dénommé Flocon ?
La jeune fée
cligna des yeux, avant d’hocher joyeusement la tête. Souriante, elle lui tendit
avec joie un plateau recouvert de délicieux gâteaux noyés sous différents
nappages colorés. Adrian les refusa poliment, s’approcha du lit, défaisant déjà
la boucle de sa ceinture et son écharpe d’apparat pour se mettre à l’aise. Il
déposa son sabre au pied du lit, tandis que la jeune fée reposait le plateau
sur la table de chevet, le regardant sagement faire. S’agenouillant sur le bord
de l’édredon, il vint même aider le jeune prince, tendant timidement ses mains
frêle pour l’aider à déboutonner sa pompeuse veste blanche.
Adrian se sentit
s’empourprer. Cette fragile créature respirait la candeur et l’innocence,
fragile comme une fleur de neige. Elle n’avait même pas l’air de savoir
pourquoi l’humain était là. L’avait-on vendu à lui sans l’avertir ?
Allait-il souiller ce flocon de neige avec ses doigts impurs et dénués de magie ?
Flocon lui
adressa un lumineux sourire et l’attrapa doucement par la main, l’invitant à le
rejoindre. Il ne se fit pas prier et grimpa lui aussi, se délestant de ses
bottes au passage. Le sommier confortable grinça lourdement sous son poids, ce
qui fit rire Flocon. Ce dernier fit disparaître ses ailes, qui s’évaporèrent
dans une pluie de poussière lumineuse.
Charmé, Adrian ne
résista pas à la tentation et vint poser la main contre sa joue pâle. Elle
était douce comme la peau d’une pêche, et la jeune fée appuya son visage contre
la paume de l’humain en fermant ses grands yeux, un sourire ravi sur ses lèvres
roses.
Adrian déglutit.
Il était subjugué par sa beauté féerique et redoutait en même temps de le
toucher. Il laissa pourtant ses doigts caresser l’arrondi de son épaule,
descendre sur son torse pâle, suivre la courbe de ses hanches et de sa cuisse.
Flocon émit un petit son qui ressemblait presque à un ronronnement, et ses joues
rosirent de plaisir. Ça avait l’air de lui plaire, d’être touché. Et, peut-être
devant la timidité d’Adrian qui reprenait lentement ses caresses en sens
inverse, il lui attrapa lui-même les poignets pour l’inciter à poser les mains
sur son corps blanc.
D’abord
abasourdi, Adrian finit par lui obéir docilement.
La paume de ses
mains épousa les courbes veloutées, la chair chaude et douce qui frémissait
contre lui. Il se laissa peu à peu envoûter par la beauté de cette silhouette
qui réclamait toujours plus, sans voir le mal dans ces agréables caresses. Il
osa s’aventurer sur des parties plus intimes, moins exposées et plus sensibles
que ses épaules ou ses bras.
Adrian se mit à
prendre de l’assurance à mesure qu’il caressait la peau laiteuse de la jeune
créature. Le dos si frêle… la taille gracile... le ventre blanc, la nuque
délicate… Son audace s’accrut, surtout en voyant la chair de poule qu’il
faisait naître sur le corps de Flocon, qui était loin d’être gêné par ses
attouchements. Il soupirait tout doucement, émettant d’adorables sons de
plaisir, comme des petits roucoulements ravis.
Adrian s'enhardit,
charmé par les réactions naïves de cette jeune créature, sensible à sa
sensualité candide. Il l'allongea doucement sur l'édredon, repoussa le long
morceau d'étoffe de soie qui recouvrait si peu les longues jambes de Flocon. Ce
dernier se laissa faire, ses mains retombant inanimées de chaque côté de son
visage rougissant. Il fixa Adrian d'un air ingénu, semblant réclamer plus de
caresses, comme un chaton frustré, et s'étonner à la fois des sensations
nouvelles que l'humain faisait naître sur son corps.
Quand le prince
se pencha pour embrasser un bouton de chair rose, le taquiner du bout de la
langue et le malmener entre ses lèvres, Flocon poussa un petit cri de surprise
et de plaisir mélangé, se cambrant sur l'édredon. Adrian sentit son propre
bas-ventre réagir. Une chaleur délicieuse coulait dans sa veine, et il
s’émerveillait de la jolie créature qui restait docile sous ses caresses, qui
semblait l'inviter en toute innocence à débaucher son corps angélique.
Il embrassa la
peau blanche, à la saveur étonnamment sucrée contre sa bouche, au parfum de
fleur forestière. Alors c'était ça, une fée ? Il se régalait de le sentir
se tortiller sous ses baisers, le torse secoué de petits spasmes, poussant des
soupirs aussi spontanés que surpris. Adrian voulut descendre, plus bas encore.
Mais Flocon fut pris d'un sursaut, alors que l'humain dégrafait la ceinture de
joyaux qui lui ceignait les hanches et le dénudait en un simple geste. La fée
enfonça les pieds dans le matelas, resserra les genoux en un instant, mais
Adrian les lui écarta d’un geste tendre, retira élégamment les bas soyeux qui
recouvraient ses jambes. Poussé par un désir qu’il ne comprenait pas lui-même,
le prince enfouit le visage entre ses cuisses.
Flocon poussa un
délicieux gémissement de plaisir. Son dos s’arqua, ses doigts glissant sur le
tissu du couvre-lit. Ces sensations qui, Adrian en était sûr, lui étaient
totalement nouvelles, laissaient la jeune créature dans un état mélangé
d’incompréhension et de béatitude. Il se mordait la lèvre inférieure quand il
ne souriait pas, ne pouvait s’empêcher de geindre encore et encore. La langue
et la bouche du prince humain lui faisaient monter le rouge aux joues, et
bientôt, il en perdit le souffle et se mit à haleter de la plus érotique des
façons.
Les ardeurs
d’Adrian s’enflammèrent et il descendit encore, surélevant légèrement le bassin
léger de la fée, sentant les chevilles de cette dernière s’accrocher l’une à
l’autre sur son dos. Entouré par les cuisses blanches et appétissantes à
souhait, le prince abandonna ses dernières réserves, toute sa pudeur et sa
bienséance, pour se laisser aller à des choses qu’il n’aurait jamais osé faire
avant. Dans un désir ambigu de souiller la beauté de Flocon par la perversion
de ses désirs, et de le combler tout à la fois par la plus pure des extases, il
laissa ses instincts les plus vils et primaires guider ses gestes.
Bientôt pourtant,
le jeune prince ne put plus se retenir. La patience malmenée, ses désirs
d’homme le taraudant, il se redressa pour admirer la créature alanguie. Flocon
le fixait d’un air candide, les joues écarlates, le souffle court et les
cheveux emmêlés. Ses cuisses écartées dévoilaient les trésors de chair tendre
et les vallons de peau blanche, aussi humides de salive que de plaisir.
Adrian déboucla
son pantalon avec une fièvre qui l’étonna lui-même, libérant son propre désir
qui le faisait presque souffrir. Il recouvrit le corps gracile du sien, se
logeant entre les jambes délicates, sentant la peau nue se serrer sur le tissu
de son pantalon d’apparat. Flocon, abandonné, sans défense, l’observa
longuement avant de clore ses cils de velours. Libéré du poids de ce regard,
dont l’innocence le rendait coupable, Adrian n’y tint plus et força le doux
écrin de son corps.
Un plaisir
incomparable le vrilla jusqu’au plus profond de son être. Plus qu’il ne l’avait
jamais ressenti avec aucune femme, le corps de cette fée, de cette jeune créature
à la beauté irréelle, le fit plonger dans un abîme de volupté.
Flocon avait
crié, pourtant. Et se serrait à présent contre lui, l’étreignait de toute la
force de ses bras frêles, se mordant violemment les lèvres. Adrian les caressa
du bout de son pouce et elles s’ouvrirent comme par magie, tétant son doigt, le
caressant du bout de la langue, réflexe innocent ou bien simple mimétisme de ce
que le prince venait de lui montrer entre ses cuisses. Il le trouva plus époustouflant
de sensualité que jamais.
Bientôt, les
membres de la fée se décrispèrent, son souffle s’accéléra encore, et il commença
à se tortiller sous lui en devançant les va et vient d’Adrian. Ses soupirs
étaient devenus des gémissements, si forts et sincères qu’ils faisaient tourner
la tête du jeune prince, décuplaient sa fougue et son ardeur.
Les mains
délicates de Flocon s’agrippaient à lui avec une force insoupçonnée, son corps
ondulait avec le sien, dans une danse érotique aux mouvements langoureux.
Adrian caressa les longues mèches à la couleur envoûtante. Sa main effleura les
joues rouges de plaisir qui se pressaient contre sa paume, se faufila enfin
entre leurs deux corps. Flocon se cambra contre lui et gémit voluptueusement,
une fois, puis une autre, et la litanie luxurieuse ne s’interrompit plus, jusqu’à
un ultime cri et de violents tremblements qui traversèrent le corps chauds.
Adrian lui-même
se laissa tenter. Plus rapide et ardent, entouré par écrin de velours, étroit
et brûlant, il s’approcha jusqu’au bord du précipice, tant et si bien qu’il ne
se rendit compte qu’il était trop près qu’au moment où il bascula.
Il se tendit
brusquement, son bassin s’ancrant entre les cuisses frémissantes de la jeune
fée. Puis il lui sembla retoucher terre, et ses paupières papillonnèrent un
instant.
Ses bras le
trahirent et il s’allongea sur Flocon, qui ne s’en offusqua pas, l’entoura même
tendrement de caresse et d’affection. La fée le fixait d’un air enchanté, le
visage coloré par le rose délicat de la gêne et de l’essoufflement.
Adrian déglutit,
et resta éblouit par la candeur de la créature, même après leurs ébats intenses.
Elle semblait ronronner, loin de se douter des outrages qu’elle avait subi, de
l’innocence qu’elle venait de lui sacrifier. Cette pauvre créature n’avait vu
que le plaisir, ces sensations nouvelles et déroutantes qui avaient fait réagir
son corps. Son corps que le prince avait souillé de son essence humaine, impure
et lubrique. Livré en pâture à sa concupiscence.
Il en rougit, et
son propre assouvissement lui laissa un petit goût amer. Il se retira sans un
mot, provoquant un petit soupir chez son innocent partenaire.
Flocon n’avait
pas l’air de comprendre son désarroi, et tenta de glisser les mains sous les
vêtements de l’humain pour le caresser comme ce dernier l’avait fait pour lui.
Comme Adrian ne réagissait pas, il lui fit un petit regard triste et le poussa
doucement pour le renverser.
Surpris, Adrian
se laissa faire, s’allongeant sur le dos dans le matelas moelleux. Flocon grimpa
sur lui et s’installa à cheval sur son bassin, le fixant avec une moue penaude.
Ses cuisses et son ventre blanc, encore marqués par leur passion, n’avaient pas
perdu de leur pouvoir érotique et le prince sentit ses regrets se teinter d’un
désir renaissant. Il tendit la main pour caresser la joue de Flocon, effleurant
ses cheveux du bout des doigts.
– Tu n’as
même pas de raison de m’en vouloir, n’est ce pas… ? Tu ne t’es rendu
compte de rien…
Flocon le fixa
avec curiosité, frotta sa joue contre la paume du jeune prince avant de
capturer son poignet pour laper les doigts tendus. Il chercha à presser son
bassin contre celui d’Adrian, quémandant avec une innocence touchante une
nouvelle étreinte, comme pour connaître à nouveau ce plaisir intense que le
prince lui avait donné.
Mais ce dernier,
fatigué et honteux de sa propre dépravation, ne s’en sentait pas capable. Il se
redressa, pour embrasser avec une tendresse révérencieuse le front de la jeune
fée.
– J’espère
que tu pourras me pardonner…
Flocon le regarda
partir d’un air penaud. Andrian renfila ses bottes, rajusta ses vêtements sans
lui accorder un seul coup d’œil. Agenouillé sur l’édredon, son chignon défait
laissant échapper de longues ondulations vaporeuses, Flocon ne devait pas comprendre
pourquoi le prince le quittait si vite. Son beau regard azur était un peu
déboussolé, semblait lui demander pourquoi il s’en allait, alors que ce qu’ils
avaient fait avait été si bon.
Adrian n’en fut
que plus troublé. Il rajusta son sabre et se racla la gorge.
– Je te
remercie pour ce moment… lui glissa-t-il sur le seuil de la porte.
Il la referma
doucement et s’enfuit sans demander son reste, l’esprit confus et troublé.
La neige
continuait de tomber au dehors, recouvrant le rebord des fenêtres, étouffant le
paysage sous sa blancheur ouatée. Il n’y avait pas un bruit dans la pièce, rien
d’autre que le doux crépitement des flammes, et la respiration calme de Flocon.
Sans un mot, ce
dernier sentit ses épaules s’affaisser. Agenouillé sur le lit, il regarda
l’édredon froissé d’un air distrait, la tête ailleurs, plongé loin dans ses
pensées. Un gros oreiller gardait encore la forme de leurs têtes, la sienne et
celle d’Adrian. Il l’attrapa et le serra contre lui, fermement, y enfouissant
le menton. Le regard vide, il resta ainsi un long moment.
Puis quelqu’un
frappa doucement à la porte. Il y eu un long silence, puis le visiteur sembla
se rappeler que Flocon ne parlait pas, et ne pouvait donc pas l’inviter à
entrer. Quelqu’un tourna la poignée et la tête de Mordigann apparut dans
l’embrasure. Voyant Flocon seul, il agrandit un peu plus l’interstice et se
pencha à l’intérieur. Derrière lui, ce n’était pas la grande salle au lustre
immense par laquelle était arrivé Adrian, mais le désormais familier couloir de
la maison Fancy Candies.
– Alors… ?
demanda Mordigann en arquant un sourcil.
La tête d’Elendil
apparut au-dessus du bras qui tenait la porte. Flocon reconnu le haut de sa
chevelure cendrée, le bijou dont il se servait pour nouer ses cheveux et la
tiare dorée qu’il portait toujours sur le front. Avec curiosité, l’elfe se
hissa sur la pointe des pieds pour observer la chambre et la fée. En dessous du
bras de Mordigann, la tête de Purr apparut elle aussi, un brin choquée.
Flocon serra un
peu plus fort le coussin contre lui et se renfrogna. La lèvre froncée, le
regard vide, il boudait très clairement. Mordigann comprit aussitôt.
– Je t’avais
prévenu, dit-il d’un ton blasé. Les humains ne sont pas très endurants.
– Je le
savais ! cria victorieusement Elendil en s’éloignant. Ça ne lui a pas suffi !
Inari, tu me dois de l’argent !
Purr, lui, s’accroupit
sur le sol d’un traumatisé. Il cligna des yeux plusieurs fois, abasourdi.
– Mais… mais
il avait l’air si innocent… !
Mordigann soupira
et leva les yeux au ciel. Boudeur, Flocon enfouit le nez dans son coussin et s’assit
en tailleur sur le lit.
– Les fées
des neiges n’aiment que deux choses, Purr. Le sucre, et la chaleur humaine.
Flocon renifla,
dédaigneusement. La chaleur humaine… Il ne parlait pas, mais ses yeux parlaient
pour lui.
Ces humains
étaient bien fragiles. Juste une seule fois… ! Et courte qui plus est. À
peine de quoi le satisfaire. Il était déçu, et vexé, mais surtout frustré.
Mordigann
soupira, chassant Purr d’un petit coup de pieds pour l’envoyer se remettre de
son traumatisme ailleurs que dans le passage. Ce pauvre lycan était bien naïf,
quand il s’y mettait. Comment pouvait-on seulement croire que Flocon était pur
et vierge ? Sa silhouette androgyne débordait d’érotisme et de soif de
luxure. Mordigann secoua la tête.
– Tu es
toujours d’accord pour travailler ici… ? demanda-t-il en s’accoudant au
chambranle. Tu peux encore changer d’avis.
Flocon lui lança
un regard effronté, avant d’hausser les épaules. Ses prunelles azurées
dérivèrent doucement, de Mordigann au plancher, du plancher à la table de nuit.
Les cupcakes encore intact élançaient la pointe de leur glaçage coloré vers le
ciel. Il les fixa, longuement.
Le petit prince
humain avait été très loin de ce qu’il avait déjà connu. Déçu par ce premier
client, il redoutait que les autres soient comme lui.
Mais il y avait
les gâteaux. Les biscuits… et les bonbons, les tartes, les mousses, les
charlottes. Les éclairs et les guimauves, les pâtes d’amande et les sucettes.
Et les cupcakes.
Les meilleurs qu’il n’ait jamais mangés.
Il fit une moue
songeuse, tordant le coin de la bouche.
Puis il fixa de
nouveau Mordigann et avec un lumineux sourire, hocha vigoureusement la tête.
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